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était toute fraîche dans son souvenir, il en comprenait parfaitement le sens et la portée, et il ne risquait pas de l’altérer. Mais ensuite il l’a confiée à sa mémoire et il ne l’applique plus que d’une façon mécanique ; alors, si la mémoire lui fait défaut, il peut l’appliquer tout de travers. C’est ainsi, pour prendre un exemple simple et presque vulgaire, que nous faisons quelquefois des fautes de calcul parce que nous avons oublié notre table de multiplication.

A ce compte, l’aptitude spéciale aux Mathématiques ne serait due qu’à une mémoire très sûre, ou bien à une force d’attention prodigieuse. Ce serait une qualité analogue à celle du joueur de whist, qui retient les cartes tombées ; ou bien, pour nous élever d’un degré, à celle du joueur d’échecs, qui peut envisager un nombre très grand de combinaisons et les garder dans sa mémoire. Tout bon mathématicien devrait être en même temps bon joueur d’échecs, et inversement ; il devrait être également un bon calculateur numérique. Certes, cela arrive quelquefois : ainsi Gauss était à la fois un géomètre de génie et un calculateur très précoce et très sûr.

Mais il y a des exceptions, ou plutôt je me trompe ; je ne puis pas appeler cela des exceptions, sans quoi les exceptions seraient plus nombreuses que les cas conformes à la règle. C’est Gauss, au contraire, qui était une exception. Quant à moi, je suis obligé de l’avouer, je suis absolument incapable de faire