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que les choses qui nous semblent belles sont celles qui s’adaptent le mieux à notre intelligence, et que par suite elles sont en même temps l’outil que cette intelligence sait le mieux manier ? Ou bien y a-t-il là un jeu de l’évolution et de la sélection naturelle ? Les peuples dont l’idéal était le plus conforme à leur intérêt bien entendu ont-ils exterminé les autres et pris leur place ? Les uns et les autres poursuivaient leur idéal, sans se rendre compte des conséquences, mais tandis que cette recherche menait les uns à leur perte, aux autres elle donnait l’empire. On serait tenté de le croire ; Si les Grecs ont triomphé des barbares et si l’Europe, héritière de la pensée des Grecs, domine le monde, c’est parce que les sauvages aimaient les couleurs criardes et les sons bruyants du tambour qui n’occupaient que leurs sens, tandis que les Grecs aimaient la beauté intellectuelle qui se cache sous la beauté sensible et que c’est celle-là qui fait l’intelligence sûre et forte.

Sans doute un pareil triomphe ferait horreur à Tolstoï et il ne voudrait pas reconnaître qu’il puisse être vraiment utile. Mais cette recherche désintéressée du vrai pour sa beauté propre est saine aussi et peut rendre l’homme meilleur. Je sais bien qu’il y a des mécomptes, que le penseur n’y puise pas toujours la sérénité qu’il devrait y trouver, et même qu’il y a des savants qui ont un très mauvais caractère.