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des milliards de milliards dans un millimètre cube de son corps. Vouloir faire tenir la nature dans la science, ce serait vouloir faire entrer le tout dans la partie.

Mais les savants croient qu’il y a une hiérarchie des faits et qu’on peut faire entre eux un choix judicieux ; ils ont raison, puisque sans cela il n’y aurait pas de science et que la science existe. Il suffit d’ouvrir les yeux pour voir que les conquêtes de l’industrie qui ont enrichi tant d’hommes pratiques n’auraient jamais vu le jour si ces hommes pratiques avaient seuls existé, et s’ils n’avaient été devancés par des fous désintéressés qui sont morts pauvres, qui ne pensaient jamais à l’utile, et qui pourtant avaient un autre guide que leur caprice.

C’est que, comme l’a dit Mach, ces fous ont économisé à leurs successeurs la peine de penser. Ceux qui auraient travaillé uniquement en vue d’une application immédiate n’auraient rien laissé derrière eux et, en face d’un besoin nouveau, tout aurait été à recommencer. Or, la plupart des hommes n’aiment pas à penser et c’est peut-être un bien, puisque l’instinct les guide, et le plus souvent mieux que la raison ne guiderait une pure intelligence, toutes les fois du moins qu’ils poursuivent un but immédiat et toujours le même ; mais l’instinct c’est la routine, et si la pensée ne le fécondait pas, il ne progresserait pas plus chez