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aussi bon marché de la réalité, et je n’entends pas seulement la réalité du monde sensible, qui a pourtant son prix, puisque c’est pour lutter contre elle que les neuf dixièmes de vos élèves vous demandent des armes. Il y a une réalité plus subtile, qui fait la vie des êtres mathématiques, et qui est autre chose que la logique.

Notre corps est formé de cellules et les cellules d’atomes ; ces cellules et ces atomes sont-ils donc toute la réalité du corps humain ? La façon dont ces cellules sont agencées, et dont résulte l’unité de l’individu, n’est-elle pas aussi une réalité et beaucoup plus intéressante ?

Un naturaliste qui n’aurait jamais étudié l’éléphant qu’au microscope croirait-il connaître suffisamment cet animal ?

Il en est de même en mathématiques. Quand le logicien aura décomposé chaque démonstration en une foule d’opérations élémentaires, toutes correctes, il ne possédera pas encore la réalité tout entière ; ce je ne sais quoi qui fait l’unité de la démonstration lui échappera complètement.

Dans les édifices élevés par nos maîtres, à quoi bon admirer l’œuvre du maçon si nous ne pouvons comprendre le plan de l’architecte ? Or, cette vue d’ensemble, la logique pure ne peut nous la donner, c’est à l’intuition qu’il faut la demander.

Prenons par exemple l’idée de fonction continue. Ce n’est d’abord qu’une image sensible, un trait