Page:Poincaré - Science et méthode (Édition définitive).djvu/106

Cette page n’a pas encore été corrigée

impossible de tracer la courbe avec un crayon ordinaire : voila ce que je veux dire.

Que devons-nous donc conclure ? Lumen n’a pas le droit de dire que la probabilité de la cause (celle de sa cause, qui est notre effet à nous) doit nécessairement être représentée par une fonction continue. Mais alors, nous, pourquoi avons-nous ce droit ? C’est parce que cet état d’équilibre instable, que nous appelions tout à l’heure initial, n’est lui-même que le point d’aboutissement d’une longue histoire antérieure. Dans le cours de cette histoire, des causes complexes ont agi et elles ont agi longtemps : elles ont contribué à opérer le mélange des éléments et elles ont tendu à tout uniformiser au moins dans un petit espace ; elles ont arrondi les angles, nivelé les montagnes et comblé les vallées : quelque capricieuse et irrégulière qu’ait pu être la courbe primitive qu’on leur a livrée, elles ont tant travaillé à la régulariser, qu’elles nous rendront finalement une courbe continue. Et c’est pourquoi nous en pouvons en toute confiance admettre la continuité.

Lumen n’aurait pas les mêmes raisons de conclure ainsi ; pour lui, les causes complexes ne lui paraîtraient pas des agents de régularité et de nivellement, elles ne créeraient au contraire que la différentiation et l’inégalité. Il verrait sortir un monde de plus en plus varié d’une sorte de chaos primitif ; les changements qu’il observerait seraient pour lui