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ix
préface

La théorie de M. du Ligondès dérive à la fois de celle de Faye et de celle de Kant. Pour lui, le point de départ, n’est plus la nébuleuse de Laplace, dont les mouvements sont déjà régularisés par le frottement, c’est un chaos véritable. Au lieu d’une masse gazeuse dont les diverses parties sont rendues plus ou moins solidaires les unes des autres par l’effet de la viscosité, et qui forme en tout cas un continu, nous n’avons plus qu’un essaim de projectiles se croisant au hasard dans tous les sens. Que sont ces projectiles ? Ce peuvent être des météorites solides, ou d’énormes bulles de gaz, peu importe ; entre eux il n’y a que le vide ou une atmosphère assez ténue pour ne pas gêner la liberté de leurs mouvements. De temps en temps ces mouvements sont troublés, soit parce que ces corps approchent beaucoup les uns des autres, soit parce qu’ils se choquent physiquement. Et ce sont ces chocs qui produisent l’évolution ; s’il n’y avait ni choc, ni résistance passive, ou même si les corps qui se choquent étaient parfaitement élastiques, ces projectiles, malgré l’attraction qu’ils exercent les uns sur les autres, pourraient circuler indéfiniment sans montrer aucune tendance à la concentration ; de même que, dans le vide, les planètes tourneraient perpétuellement autour du Soleil, sans jamais tomber sur l’astre qui les attire. Supposons au contraire deux planètes circulant en sens contraire sur la même orbite circulaire ; avant d’avoir décrit une demi-circonférence, elles se rencontreront, leur vitesse sera détruite par le choc, si on les suppose dépourvues d’élasticité, et elles tomberont ensemble sur le Soleil, augmentant ainsi la masse de l’astre central. De pareils chocs peuvent devenir fréquents dans un milieu constitué comme l’imagine M. du Ligondès ; il y a donc une concentration progressive de la masse ; on la voit peu à peu s’organiser, les planètes et le Soleil se différentient, puis se nourrissent de la matière qui les entoure et finissent par tout absorber. On peut montrer que par le jeu même de ces chocs, on arrive à un système d’orbites peu excentriques et peu inclinées. Bien que se faisant au hasard et pour ainsi dire aveuglément, ces chocs transforment le chaos en un cosmos admirablement réglé, où l’uniformité primitive a fait place à la variété, mais à une variété harmonieuse.