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hypothèses cosmogoniques

point de vue de la distribution de la matière qu’au point de vue de la distribution des températures ». D’après cet énoncé (et en admettant que le principe puisse s’appliquer à un système infini comme l’Univers), la matière, dans son état final, serait également répandue partout d’une façon uniforme sans aucune différentiation locale quelconque : ce serait la mort du système. Or, M. Arrhenius ne veut pas voir mourir l’Univers, et c’est pour cela qu’il s’efforce de mettre en échec le principe de Carnot, en tant qu’il s’agit de l’Univers. Selon lui, « l’entropie augmente dans les soleils, mais diminue dans les nébuleuses » ; autrement dit, « l’énergie est dissipée ou « détériorée » dans les corps qui se trouvent à l’état de soleils et au contraire « améliorée » dans ceux qui sont à l’état de nébuleuses » (L’Évolution des Mondes, Préface, p. iv).

Les nébuleuses reçoivent de la chaleur par le rayonnement des étoiles : il semble donc qu’elles ne vont pas rester froides, mais tendre à se mettre finalement en équilibre de température avec les étoiles, d’après le principe de Carnot qui paraît exiger la tendance au nivellement des températures (de même qu’il semble exiger la tendance à la diffusion homogène de la matière). Nous allons voir les raisons que donne M. Arrhenius pour être d’un avis contraire.

190.Dans la théorie cinétique des gaz, la tendance à l’homogène s’explique d’une façon très simple : si nous avons un récipient plein de gaz et si le gaz qui remplit une moitié du récipient (par exemple la moitié de droite) est plus chaud que celui qui remplit l’autre moitié (la moitié de gauche), la vitesse moyenne des molécules est plus grande à droite qu’à gauche. Mais, par suite du brassage produit par les mouvements des molécules, les molécules de droite passent à gauche et inversement, et il finit bientôt par s’établir un équilibre de température dans lequel la vitesse moyenne des molécules est la même partout.

De même, si la moitié de droite du récipient avait été occupée initialement par de l’azote, et la moitié de gauche par de l’hydrogène, l’état final eût été le mélange complet, par suite du mouvement des molécules gazeuses.

Nous n’avons aucun moyen d’effectuer inversement (sans travail extérieur) le triage entre les molécules d’azote et celles d’hydrogène, ou bien entre les molécules à très grandes vitesses et celles à petites vitesses, de façon à ramener les unes à droite du récipient, les autres