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sur le bateau croit voir le rivage du fleuve se déplacer, tandis qu’il est doucement entraîné par le mouvement du navire. Examinée de plus près, cette simple notion acquiert une importance capitale ; on n’a aucun moyen de trancher la question, aucune expérience ne peut mettre en défaut le principe : il n’y a pas d’espace absolu, tous les déplacements que nous pouvons observer sont des déplacements relatifs. Ces considérations, bien familières aux philosophes, j’ai eu quelquefois l’occasion de les exprimer ; j’en ai même recueilli une publicité dont je me serais volontiers passé ; tous les journaux réactionnaires français m’ont fait démontrer que le soleil tourne autour de la terre ; dans le fameux procès entre l’Inquisition et Galilée, Galilée aurait eu tous les torts.

Il est à peine nécessaire de dire ici que je n’ai jamais eu une telle pensée ; c’est bien pour la vérité que Galilée combattait, puisque, sans lui, l’Astronomie et la Mécanique céleste n’auraient pu se développer. Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit pour le moment.

Revenons à l’ancienne mécanique ; elle admettait le principe de relativité, et môme on démontrait dans les cours les lois de cette mécanique en les déduisant de ce principe fondamental. Ces considérations suffisaient pour les phénomènes purement mécaniques, mais cela n’allait plus pour d’importantes parties de la physique, l’optique par exemple. On considérait comme absolue la vitesse de la lumière relativement à l’éther ; cette vitesse pouvait être mesurée, on avait théoriquement le moyen de comparer le déplacement d’un mobile à un déplacement [172] absolu, le moyen de décider si oui ou non un corps était en mouvement absolu. Vous connaissez le phénomène de l’aberration des étoiles fixes en vertu duquel les étoiles sont vues, non pas dans la direction de la vitesse absolue du rayon lumineux qu’elles nous envoient, mais dans celle de la vitesse relative de ce rayon par rapport à la Terre. Je représente en OA (fig. 26) la vitesse absolue de la lumière émanée

Figure 26.

de l’étoile ; en AB la vitesse du Soleil dans l’espace, changée de sens ; en BC la vitesse de la Terre par rapport au Soleil, changée de sens. Alors OC sera la vitesse relative de la Lumière, et l’étoile, qui devait être vue dans la direction OA, sera vue dans la direction OC. Au bout de 6 mois, la vitesse BC aura changé de sens et sera devenue BC, et l’étoile sera vue dans la direction OC’ ; cette variation de direction de OC à OC’ nous renseigne donc sur la vitesse BC’ ; ce qui n’a rien de contraire au principe, puisqu’il s’agit ici d’une vitesse relative.