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L’INTUITION ET LA LOGIQUE EN MATHÉMATIQUES

Mais il suffit que la chose soit douteuse pour que je sois en droit de reconnaître et d’affirmer une divergence essentielle entre les deux sortes d’intuition ; elles n’ont pas le même objet et semblent mettre en jeu deux facultés différentes de notre âme ; on dirait de deux projecteurs braqués sur deux mondes étrangers l’un à l’autre.

C’est l’intuition du nombre pur, celle des formes logiques pures qui éclaire et dirige ceux que nous avons appelés analystes.

C’est elle qui leur permet non seulement de démontrer, mais encore d’inventer. C’est par elle qu’ils aperçoivent d’un coup d’œil le plan général d’un édifice logique, et cela sans que les sens paraissent intervenir.

En rejetant le secours de l’imagination, qui, nous l’avons vu, n’est pas toujours infaillible, ils peuvent avancer sans crainte de se tromper. Heureux donc ceux qui peuvent se passer de cet appui ! Nous devons les admirer, mais combien ils sont rares !

Pour les analystes, il y aura donc des inventeurs, mais il y en aura peu.

La plupart d’entre nous, s’ils voulaient voir de loin par la seule intuition pure, se sentiraient bientôt pris de vertige. Leur faiblesse a besoin d’un bâton plus solide et, malgré les exceptions