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LA VALEUR DE LA SCIENCE

l’imagination, avoir le sentiment direct de ce qui fait l’unité d’un raisonnement, de ce qui en fait pour ainsi dire l’âme et la vie intime.

Quand on causait avec M. Hermite ; jamais il n’évoquait une image sensible, et pourtant vous vous aperceviez bientôt que les entités les plus abstraites étaient pour lui comme des êtres vivants. Il ne les voyait pas, mais il sentait qu’elles ne sont pas un assemblage artificiel, et qu’elles ont je ne sais quel principe d’unité interne.

Mais, dira-t-on, c’est là encore de l’intuition. Conclurons-nous que la distinction faite au début n’était qu’une apparence, qu’il n’y a qu’une sorte d’esprits et que tous les mathématiciens sont des intuitifs, du moins ceux qui sont capables d’inventer ?

Non, notre distinction correspond à quelque chose de réel. J’ai dit plus haut qu’il y a plusieurs espèces d’intuition. J’ai dit combien l’intuition du nombre pur, celle d’où peut sortir l’induction mathématique rigoureuse, diffère de l’intuition sensible dont l’imagination proprement dite fait tous les frais.

L’abîme qui les sépare est-il moins profond qu’il ne paraît d’abord ? Reconnaîtrait-on avec un peu d’attention que cette intuition pure elle-même ne saurait se passer du secours des sens ? C’est là l’affaire du psychologue et du métaphysicien et je ne discuterai pas cette question.