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L’ANALYSE ET LA PHYSIQUE


C’est l’esprit mathématique, qui dédaigne la matière pour ne s’attacher qu’à la forme pure. C’est lui qui nous a enseigné à nommer du même nom des êtres qui ne diffèrent que par la matière, à nommer du même nom par exemple la multiplication des quaternions et celle des nombres entiers.

Si les quaternions, dont je viens de parler, n’avaient été si promptement utilisés par les physiciens anglais, bien des personnes n’y verraient sans doute qu’une rêverie oiseuse, et pourtant, en nous apprenant à rapprocher ce que les apparences séparent, ils nous auraient déjà rendus plus aptes à pénétrer les secrets de la nature.

Voilà les services que le physicien doit attendre de l’analyse, mais pour que cette science puisse les lui rendre, il faut qu’elle soit cultivée de la façon la plus large, sans préoccupation immédiate d’utilité, il faut que le mathématicien ait travaillé en artiste.

Ce que nous lui demandons c’est de nous aider à voir, à discerner notre chemin dans le dédale qui s’offre à nous. Or, celui qui voit le mieux, c’est celui qui s’est élevé le plus haut.

Les exemples abondent, et je me bornerai aux plus frappants.

Le premier nous montrera comment il suffit de changer de langage pour apercevoir des généralisations qu’on n’avait pas d’abord soupçonnées.