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INTRODUCTION

déjà ce que j’en pense. La vérité qu’il nous est permis d’entrevoir n’est pas tout à fait ce que la plupart des hommes appellent de ce nom. Est-ce à dire que notre aspiration la plus légitime et la plus impérieuse est en même temps la plus vaine ? Ou bien pouvons-nous malgré tout approcher de la vérité par quelque côté, c’est ce qu’il convient d’examiner.

Et d’abord, de quel instrument disposons-nous pour cette conquête ? L’intelligence de l’homme, pour nous restreindre, l’intelligence du savant n’est-elle pas susceptible d’une infinie variété ? On pourrait, sans épuiser ce sujet, écrire bien des volumes ; je n’ai fait que l’effleurer en quelques courtes pages. Que l’esprit du mathématicien ressemble peu à celui du physicien ou à celui du naturaliste, tout le monde en conviendra ; mais les mathématiciens eux-mêmes ne se ressemblent pas entre eux ; les uns ne connaissent que l’implacable logique, les autres font appel à l’intuition et voient en elle la source unique de la découverte. Et ce serait là une raison de défiance. À des esprits si dissemblables, les théorèmes mathématiques eux-mêmes pourront-ils apparaître sous le même jour ? La vérité qui n’est pas la même pour tous est-elle la vérité ? Mais en regardant les choses de