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lièrement apte à ce genre de travail qui est en quelque sorte exclusivement mécanique. Il semble qu’en pensant le soir aux facteurs d’une multiplication, on pourrait espérer trouver le produit tout fait à son réveil, ou bien encore qu’un calcul algébrique, une vérification, par exemple, pourrait se faire inconsciemment. Il n’en est rien, l’observation le prouve. Tout ce qu’on peut espérer de ces inspirations, qui sont les fruits du travail inconscient, ce sont des points de départ pour de semblables calculs ; quant aux calculs eux-mêmes il faut les faire dans la seconde période de travail conscient, celle qui suit l’inspiration ; celle où l’on vérifie les résultats de cette inspiration et où l’on en tire les conséquences. Les règles de ces calculs sont strictes et compliquées ; elles exigent la discipline, l’attention, la volonté et par suite la conscience. Dans le moi subliminal, règne, au contraire, ce que j’appellerais la liberté, si l’on pouvait donner ce nom à la simple absence de discipline et au désordre né du hasard. Seulement ce désordre même permet des accouplements inattendus.

Je ferai une dernière remarque ; quand je vous ai exposé plus haut quelques observations personnelles, j’ai parlé d’une nuit d’excitation, où je travaillais comme malgré moi ; les cas où il en est ainsi sont fréquents, et il n’est pas nécessaire que l’activité cérébrale anormale soit causée par un excitant physique comme dans celui que j’ai cité. Eh bien, il semble que, dans ces cas, on assiste soi-même à son propre travail inconscient, qui est devenu partiellement perceptible à la conscience surexcitée et qui n’a pas pour cela changé de nature. On se rend alors vaguement compte de ce qui distingue les deux mécanismes ou si vous voulez les méthodes de travail des deux mois. Et les observations psychologiques que j’ai pu faire ainsi me semblent confirmer dans leurs traits généraux les vues que je viens d’émettre.

Certes elles en ont bien besoin, car elles sont et restent malgré tout bien hypothétiques : l’intérêt de la question est si grand pourtant que je ne me repens pas de vous les avoir soumises.


Mayenne, Imprimerie Ch. COLIN.