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RAYMOND POINCARÉ

perdu, que l’Autriche ne précipiterait sans doute pas ses opérations et que l’Allemagne était d’avis de ne pas renoncer aux efforts de conciliation. Le baron de Schœn a promis que son gouvernement s’informerait à Vienne des intentions de l’Autriche.

Dès qu’il s’est réinstallé au Quai d’Orsay, M. Viviani s’est empressé d’étudier tous les documents. Il a conféré avec MM. Bienvenu-Martin, Philippe Berthelot, Bourgeois, Ribot, Pichon, et il a rédigé, à destination de Londres, un télégramme, qu’il a communiqué au Conseil des ministres et dans lequel il insiste sur la nécessité de reprendre sans retard le projet de médiation.

M. Viviani a également reçu M. de Schœn. L’ambassadeur lui a parlé des mesures de précaution qu’a prescrites le gouvernement français pendant notre absence. M. Viviani ne les a pas niées. Il a seulement fait remarquer que pas une seule n’était de celles dont nos voisins eussent à prendre ombrage et que notre volonté de nous prêter à toute négociation pour le maintien de la paix ne pouvait être mise en doute. M. de Schœn a spontanément reconnu que la France était libre d’agir comme elle le faisait, mais il a ajouté qu’en Allemagne les préparatifs ne pouvaient être secrets et qu’il ne faudrait pas que l’opinion française s’émût si l’Allemagne se décidait à des mesures publiques. Dans un télégramme déchiffré depuis par nos services cryptographiques, M. de Schœn a rapporté cette conversation à Berlin. Il concluait par ces mots, qui sont à retenir : « Viviani ne veut pas abandonner l’espoir dans le maintien de la paix, que l’on souhaite ici vivement. » M. de Schœn, vivant à Paris, connaissait donc la vérité et ne songeait pas à contester l’esprit pacifique du gouvernement et du pays.

Je passe encore, de mon côté, plusieurs heures à dépouiller les tristes papiers où se reflète le désarroi de l’Europe. Cette lecture me tient éveillé fort avant dans la nuit. Elle me prouve, hélas ! que la situation est plus grave que ne me l’avaient laissé supposer, pendant mon voyage, les radios recueillis par la France. Très tard m’est communiqué un télégramme de M. Paul Cambon, qui n’est pas fait davantage pour me rassurer : Dans son entretien d’aujourd’hui avec mon collègue d’Allemagne, sir Ed. Grey a fait observer que l’ouverture de M. Sazonoff pour une conversation directe entre la Russie et l’Autriche n’ayant pas été accueillie à Vienne, il conviendrait d’en revenir à sa proposition d’intervention amicale des quatre Puissances non directement intéressées. Cette suggestion a été acceptée en principe par le gouvernement allemand, mais il a fait des objections à l’idée d’une conférence ou d’une médiation. Le secrétaire d’État des Affaires étrangères a invité le prince Lichnowsky à prier son gouvernement de proposer lui-même une formule. Quelle qu’elle soit, si elle permet de maintenir la paix, elle sera agréée par la France et l’Italie. L’am-