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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

grammes qu’il a reçus, le président du Conseil prie M. de Margerie de rédiger et d’expédier à Paris une réponse d’ensemble qu’il me communique et que voici :


Je reçois les télégrammes. Malgré la démarche faite auprès de vous par l’ambassadeur d’Allemagne et qui tend à empêcher toute intervention modératrice de la part des puissances entre l’Autriche et la Serbie, j’estime que nous devons examiner, dès à présent, avec la Russie et l’Angleterre, les moyens de prévenir un conflit dans lequel les autres puissances pourraient se trouver rapidement engagées. Si l’Autriche insiste pour participer sur territoire serbe à une enquête sur les origines de l’attentat contre l’archiduc héritier, ne pourrait-on pas proposer, le moment opportun venu, et en cherchant si la conférence jadis tenue à Rome sur les anarchistes ne fournirait pas quelque point d’appui à cet égard, d’élargir l’enquête et d’y faire participer les autres puissances ? Je prie donc directement M. Paul Cambon et M. Paléologue, d’entretenir d’urgence les gouvernements britannique et russe d’une combinaison qui, tout en ménageant la dignité de la Serbie, pourrait, si elle ralliait l’assentiment des autres puissances, n’être pas finalement repoussée à Vienne. La note autrichienne contenant, en outre, des demandes concernant des sanctions individuelles et des garanties pour l’avenir, j’estime que sur ces points la Serbie pourrait donner, dès à présent, des satisfactions, si la démonstration des faits avancés est apportée, étant donné surtout que, depuis un mois, le gouvernement serbe a gardé le silence sur les complicités que l’attentat pouvait mettre au jour. J’approuve le langage que vous avez tenu à l’ambassadeur d’Allemagne. En communiquant à M. Boppe le compte rendu de vos entretiens avec M. de Schœn, invitez-le à s’en inspirer dès ses premiers entretiens avec le gouvernement serbe. Je reprends dès à présent la direction des affaires. Signé : R. Viviani.


Ce télégramme n’a qu’un tort, qui n’est imputable ni à M. Viviani, ni à M. de Margerie, c’est de partir trop tard pour pouvoir arrêter l’Autriche. Mais, après l’avoir signé, M. Viviani semble réellement soulagé. Il a dominé ses nerfs. Il relit les pièces qu’il a sous les yeux, il réfléchit, il envisage avec beaucoup de clairvoyance toutes les hypothèses qui peuvent se présenter. Il est, comme il me dit, « dans le bain » et il se promet de « nager » au milieu des récifs.

Mais il ne sait pas plus que moi que, le jour même, Guillaume II, apprenant l’émotion causée à Belgrade par l’ultimatum autrichien, a jeté cette nouvelle note en marge du télégramme : Comme toute cette soi-disant grande puissance serbe se montre creuse ! Tous les États serbes ont cette conformation. Il faut marcher ferme sur les pieds de cette crapule. Que n’eussent pas dit les Allemands qui ont écrit sur les origines de la guerre, si les Soviets avaient trouvé, dans les papiers du Tsar, des morceaux du même style ?