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RAYMOND POINCARÉ

fuses, parfois même assez contradictoires, venues tantôt du Quai d’Orsay, où veillent MM. Bienvenu-Martin et Philippe Berthelot, tantôt de Saint-Pétersbourg, d’où M. Paléologue télégraphie à M. Viviani et à M. Thiébaut, tantôt enfin de Stockholm même, où, avec beaucoup d’obligeance, le Roi et le gouvernement suédois nous tiennent au courant de tout ce qu’ils savent.

Craignant que la situation ne s’aggrave, et soucieux d’assumer ouvertement toutes ses responsabilités, M. Viviani demande à M. Pognon, directeur de l’agence Havas, qui nous accompagne, d’annoncer que le chef du gouvernement, ministre des Affaires étrangères, s’est mis en communication personnelle avec tous les postes diplomatiques et qu’il a repris la direction effective de ses services. Pouvons-nous cependant, l’un et l’autre, songer à un retour précipité ? Devons-nous renoncer aux escales prévues en Danemark et en Norvège ? C’est une question que nous commençons à nous poser et qui nous embarrasse beaucoup. Nous sommes attendus dans les deux pays. Tout y est préparé pour nous recevoir. Si nous rentrons directement à Dunkerque, nous allons effrayer l’opinion publique, non seulement en France, mais dans toute l’Europe, et faire supposer que nous croyons vraisemblables des complications générales. Tout bien pesé, nous ne contremandons pas nos arrêts à Copenhague et à Christiania. Nous cherchons cependant à nous renseigner, par nos légations en Norvège, sur ce que paraît faire l’empereur Guillaume II, qui est en croisière sur les côtes de ce pays. On nous répond d’abord : « Il est toujours là et il ne bouge pas. » Mais, plus tard, on nous avertit qu’il vient de partir inopinément pour une destination inconnue. Il rentre sans doute à Berlin pour reprendre la barre. Je me rappelle avec inquiétude la mauvaise impression que le roi des Belges a gardée, il n’y a pas un an, de ses dernières conversations avec le Kaiser.

C’est par le roi de Suède que nous apprenons qu’à six heures du soir, c’est-à-dire à l’expiration du délai fixé par l’ultimatum, le ministre d’Autriche a quitté Belgrade.

D’après M. Dumaine, le gouvernement austro-hongrois aurait déjà mobilisé plusieurs corps d’armée ; il aurait envoyé des réservistes à Raguse et aurait pour objectif le mont Loevcen ; il méditerait donc un conflit, non seulement avec la Serbie, mais avec le Monténégro.

M. Bienvenu-Martin, ayant reçu le message que M. Viviani avait envoyé de Pétersbourg pour recommander, d’accord avec M. Sazonoff, à Vienne, la modération envers la Serbie, télégraphie via Riga au président du Conseil : Vos instructions ont été transmises d’urgence à Vienne, mais il résulte des informations de ce matin que la note autrichienne a été remise hier soir à six heures à Belgrade. Cette note, dont nous n’avons pas encore le texte