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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914

de ne pas entrer en hostilités avec les troupes austro-hongroises, mais de retirer ses propres forces et de demander aux Puissances d’apaiser le conflit. À la fin de la journée, le comte de Pourtalès est venu, à son tour, voir M. Sazonoff. Il s’est efforcé de justifier l’action de l’Autriche par la culpabilité de la Serbie et par la nécessité de protéger le principe monarchique. M. Sazonoff a répondu, d’après l’ambassadeur d’Allemagne, avec surexcitation, mais le comte de Pourtalès assure néanmoins dans son compte rendu que le ministre russe lui a laissé l’impression de vouloir, avant tout, temporiser. En tout cas, la décision du Conseil des ministres est là pour montrer qu’au lendemain de notre départ M. Sazonoff avait nettement le désir d’empêcher l’irréparable et donnait à la Serbie le conseil de replier ses troupes. C’est assez dire que ses conversations avec M. Viviani et avec moi ne lui avaient inspiré aucune velléité d’intransigeance. En effet, M. Sazonoff a adressé le même jour à Belgrade le télégramme suivant : La situation des Serbes étant sans espoir, il serait meilleur pour eux de n’offrir aucune résistance et d’adresser un appel aux grandes Puissances.

La seule précaution prise par la Russie, à la nouvelle de la concentration de troupes autrichiennes, était d’autoriser les ministres de la Guerre et de la Marine à prescrire, si les événements l’exigeaient, la mobilisation des deux flottes et des quatre corps d’armée d’Odessa, de Kiev, de Moscou et de Kazan. Encore n’était-ce pas là une décision immédiatement exécutoire. Il fut, en outre, bien spécifié que ces mesures ne viseraient que la possibilité d’un conflit ultérieur avec l’Autriche-Hongrie, et ne prendraient aucun caractère inamical envers l’Allemagne. Ni à M. Viviani, ni à moi, M. Sazonoff n’avait, du reste, laissé pressentir ces dispositions militaires qui, pour partielles qu’elles fussent, n’étaient certainement pas dans son intention, lorsque nous avons quitté la Russie.

À 5 h. 40 de l’après-midi, sir G. Buchanan télégraphiait à sir Ed. Grey. Informé de la remise de l’ultimatum, il avait été prié par M. Sazonoff de conférer, dès le matin, avec M. Paléologue et avec lui. Le ministre des Affaires étrangères et l’ambassadeur de France lui avaient dit confidentiellement qu’à la suite de ma visite et de celle de M. Viviani l’accord s’était établi entre les gouvernements russe et français sur les points suivants : 1o une parfaite communauté de vues sur les divers problèmes qui se posaient devant les Puissances en ce qui concernait le maintien de la paix générale et de l’équilibre européen, plus particulièrement en Orient (ce premier, point n’avait rien de confidentiel : la formule était exactement celle que M. Viviani avait fait publier après le dîner de Cronstadt) ; 2o décision d’agir à Vienne en vue de prévenir une demande d’explications ou une sommation qui équivaudraient à une intervention dans les