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RAYMOND POINCARÉ

souriantes. La conversation porte d’abord sur des sujets quelconques, ma traversée, mes impressions, l’état de la mer, la température. Puis Nicolas II me parle de mon retour projeté par la Suède. Il souhaite que les malentendus qui se sont produits entre ce pays et la Russie se dissipent entièrement et que mon passage à Stockholm contribue à les faire disparaître.

Pendant cette conversation, M. Sazonoff vient, de son côté, voir M. Viviani, et les deux hommes d’État s’entretiennent ensemble pendant une heure. Le ministre russe, me dit ensuite le président du Conseil français, n’a pas l’air de redouter beaucoup les suites du double meurtre de Serajevo. Jusqu’ici, il n’a pas reçu de nouvelles inquiétantes.

Lorsque M. Viviani a terminé sa conversation avec M. Sazonoff, je sors en voiture pour aller rendre aux grands-ducs les visites d’usage.

Le soir, dîner de gala au Palais, dans la grande salle de Pierre Ier, qu’illuminent douze lustres de cristal garnis de bougies.

Je suis assis à la droite de l’Impératrice, qui est elle-même à la droite de l’Empereur. Devant nous, sur la table, sont disposés de vastes surtouts d’argent massif, entourés de roses, d’œillets et de glaïeuls. Au cours du repas, l’Impératrice est reprise de suffocations. Elle fait de visibles efforts pour dominer sa douleur. Elle me parle d’ailleurs librement de sa santé précaire et des crises cardiaques qui viennent déranger brusquement tous ses projets. Elle serait cependant très heureuse de dîner jeudi sur la France, où je l’ai invitée avec l’Empereur.

À la fin du dîner, l’Empereur se lève pour me souhaiter la bienvenue. Le chef de l’État ami et allié, dit-il, est toujours assuré de rencontrer l’accueil le plus chaleureux en Russie, mais aujourd’hui notre satisfaction de pouvoir saluer le président de la République française est encore doublée par le plaisir de retrouver en vous une ancienne connaissance avec laquelle j’ai été charmé de nouer, il y a deux ans, des relations personnelles. Unies de longue date par la sympathie mutuelle des peuples et par des intérêts communs, la France et la Russie sont depuis bientôt un quart de siècle étroitement liées pour mieux poursuivre le même but qui consiste à sauvegarder leurs intérêts en collaborant à la conservation de l’équilibre et de la paix en Europe. Je ne doute point que, fidèles à leur idéal pacifique et s’appuyant sur leur alliance éprouvée, ainsi que sur des amitiés communes, nos deux pays ne continuent à jouir des bienfaits de la paix en maintenant la plénitude de leurs forces et en resserrant toujours davantage les liens qui les unissent.

Je réponds en quelques mots : Fidèle à la tradition qu’ont suivie mes honorables prédécesseurs, j’ai voulu apporter à Votre Majesté et à la Russie le solennel témoignage de sentiments qui sont immuables dans tous les cœurs français. Près de vingt-cinq ans ont passé depuis que, dans une claire vision de leur destin, nos pays ont uni les efforts de leur diplomatie ; et les heureux résultats de cette association