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COMMENT FUT DÉCLARÉE LA GUERRE DE 1914.

Tschirschky faisait part au gouvernement allemand d’une conversation que le comte Berchtold avait eue avec François-Joseph et lui avait immédiatement rapportée. L’Empereur avait exprimé l’opinion qu’il convenait de poser à la Serbie des conditions concrètes. La chancellerie allemande communique à Guillaume II le rapport de Tschirschky et aussitôt l’Empereur jette en marge ces notes agressives : Mais très nettes, très catégoriques ! Ils (les Autrichiens) ont eu assez de temps pour cela ! Et comme Tschirschky ajoute que Berchtold cherche à rendre l’acceptation des Serbes impossible, mais que Tisza préférerait procéder gentlemanlike, Guillaume se fâche et laisse tomber de sa plume impériale ces interjections irritées : Envers des assassins ! Après ce qui s’est passé ! Stupidité !

On sait que la résistance de Tisza n’a point duré. Berchtold la considérait déjà comme vaincue le 11 juillet, car, à cette date, le comte Szecsen recevait de Vienne un télégramme dont il s’est bien gardé de dire un mot au gouvernement français : L’accord complet avec l’Allemagne est obtenu en ce qui concerne la situation politique résultant de l’attentat de Serajevo et toutes les conséquences éventuelles.

Le même jour, Guillaume II, lisant un télégramme de Vienne, rappelait en note ce mot de Frédéric II : Je suis opposé aux conseils de guerre et aux délibérations, parce que c’est toujours le parti le plus timide qui prévaut. Il trouvait la politique autrichienne trop craintive et trop paresseuse. Depuis la semonce qu’il avait reçue, Tschirschky lui-même se gardait bien de recommander la prudence. L’ambassadeur d’Allemagne était, d’ailleurs, tenu par Berchtold au courant de tout ce qui se passait. Dès le 11, le ministre viennois lui avait donné des renseignements sur les conditions essentielles que poserait le prochain ultimatum.

À Paris, nous ne soupçonnerons rien de tout cela. La sphinge autrichienne demeure impénétrable. En présence de ce mystère, je ne puis renoncer au voyage que je dois faire dans les pays du Nord. Il est projeté depuis six mois. Les Chambres ont voté les crédits. Tout est prêt, non seulement à Saint-Pétersbourg, mais à Stockholm, à Copenhague et à Christiania. Si je changeais maintenant d’intention, je risquerais de faire croire à l’imminence d’un danger et d’alarmer l’Europe.

« Sous diverses formes et à divers points de vue, a écrit M. Viviani dans sa Réponse au Kaiser, on a critiqué ce voyage. On a dit que l’événement de Serajevo aurait dû nous le faire ajourner. Préparé depuis plus de cinq mois, devant s’accomplir non pas seulement en Russie, mais en Suède, en Danemark, en Norvège, nous ne pouvions le retarder sans donner lieu aux pires interprétations. C’était accroître par nous-mêmes l’état de tension à peine visible… »

M. Viviani a raison. Nous ne partirions pas que nous commettrions