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comment fut déclarée la guerre de 1914

que son hôtel reste, du moins, à notre disposition, pour l’établissement d’une ambulance.

Le croiseur de bataille Gœben et le croiseur rapide Breslau, qui étaient à Brindisi dans la nuit de vendredi à samedi, ont été signalés l’un à Tarente, l’autre à Messine. Ils descendent vers le sud, après avoir complété leur charbon, et semblent vouloir se lancer dans la Méditerranée occidentale, à la poursuite de nos bâtiments de transport militaire. Les mystérieux mouvements de ces vaisseaux de guerre s’ajoutent à tant d’autres indices pour nous donner à croire que l’Allemagne entend précipiter les choses.

Lundi 3 août 1914. — Depuis quelques jours, le ministre de la Marine, M. Gauthier, malade et surmené, nous a plusieurs fois inquiétés, ses collègues et moi, par sa nervosité. Nous lui avions recommandé hier, au Conseil de l’après-midi, de prendre de rapides mesures pour barrer le Pas-de-Calais par des torpilleurs et des sous-marins, puisque l’Angleterre n’a encore arrêté aucune disposition protectrice et que l’Allemagne peut demain profiter de ce retard. M. Gauthier a complètement oublié cette recommandation et, à onze heures du soir, il a fallu que je le fisse venir à l’Élysée, avec le chef d’État-major de la Marine, pour lui rappeler la décision du Conseil et le prier de l’exécuter. Le ministre, tombant d’un excès dans l’autre, m’a ensuite écrit pour me proposer de faire attaquer le Gœben et le Breslau par l’amiral Lapeyrère, avant toute déclaration de guerre. Je lui ai demandé de ne donner aucun ordre avant le Conseil de ce matin. Mais, dès la première heure, M. Messimy arrive à l’Élysée très irrité contre son collègue de la Marine et, lorsque M. Gauthier vient à son tour, le ministre de la Guerre l’accuse vivement d’incapacité. M. Gauthier répond par la menace d’un envoi de témoins. Sur mon intervention, la scène finit par des larmes et des embrassements. Après la fièvre de ces longues journées et de ces nuits sans sommeil, tout le monde a les nerfs à fleur de peau. M. Gauthier, brave homme et bon patriote, se résigne à donner sa démission pour raisons de santé. Il est remplacé à la rue Royale par M. Augagneur, à qui M. Albert Sarraut succède au ministère de l’Instruction publique. M. Viviani abandonne volontairement le Quai d’Orsay pour garder la présidence du Conseil sans portefeuille. M. Gaston Doumergue reprend la direction du ministère des Affaires étrangères.

J’aurais souhaité un remaniement plus large, qui permît au cabinet de représenter des opinions politiques diverses et de prendre un caractère d’union nationale. Mais M. Viviani, qui aurait désiré s’associer M. Briand et M. Delcassé, a rencontré une forte opposition à gauche et,