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RAYMOND POINCARÉ

lès avait été chargé de la porter à M. Sazonoff. Elle avait été rédigée en deux textes différents, destinés à être remis l’un ou l’autre, à dix-sept heures (heure russe), suivant que la Russie aurait répondu négativement à l’ultimatum ou n’aurait fait aucune réponse. L’ambassadeur d’Allemagne, qui n’avait reçu qu’à 17 h. 45 (heure russe) l’ordre de son gouvernement et qui n’avait pu en avoir le déchiffrement qu’une heure après, s’était senti talonné par le temps et, dans son désarroi, avait laissé à M. Sazonoff un exemplaire où coexistaient les deux rédactions.

Un incident encore plus singulier avait, dans la nuit, suivi cette méprise. Quelques heures après la déclaration de guerre, le tsar Nicolas II avait reçu du Kaiser un télégramme inexplicable : J’ai signalé hier à Ton gouvernement le seul moyen qui permette d’éviter la guerre. Bien que j’aie demandé une réponse pour aujourd’hui midi, aucun télégramme de mon ambassadeur me transmettant la réponse de Ton gouvernement ne m’est encore parvenu. J’ai été, en conséquence, obligé de mobiliser mon armée. En fait, je dois Te prier d’ordonner immédiatement à Tes troupes de ne commettre, sous aucun prétexte, la plus légère violation de nos frontières.

Dans le Livre blanc, ce télégramme a été daté faussement du 1er août 10 h. 45 matin. En réalité, c’est à 22 h. 45 que Guillaume II, après avoir remanié le projet de télégramme que lui transmettait Bethmann-Hollweg, l’a signé et expédié. Il savait, à ce moment, que le comte de Pourtalès avait déjà dû remettre la déclaration de guerre. Pourquoi le Kaiser écrit-il cependant comme si tout n’était pas consommé ? Travaille-t-il pour le Livre blanc, comme le suppose M. Paléologue ? A-t-il, comme le croient Kautsky et Basili, un peu perdu la tête ? ou bien, comme l’a pensé le Tsar au reçu du télégramme, et comme M. Renouvin paraît disposé à l’admettre, a-t-il tendu un piège à Nicky et tâché de le pousser à quelque démarche « ridicule et déshonorante » ? Quelle que soit l’explication à laquelle on s’arrête, elle ne peut rien avoir de flatteur pour Guillaume II.

Dimanche 2 août 1914. — Si l’état de guerre existe depuis hier soir entre l’Allemagne et la Russie, il n’existe pas entre l’Allemagne et nous. Jour et nuit, cependant, nos frontières sont violées. M. René Viviani télégraphie à M. Jules Cambon : Les troupes allemandes ayant aujourd’hui violé la frontière de l’Est sur plusieurs points, je vous prie de protester sans retard, par écrit, auprès du gouvernement allemand. Vous voudrez bien vous inspirer de la note suivante, que, dans l’incertitude des communications entre Paris et Berlin, j’ai adressée directement à l’ambassadeur d’Allemagne :

Les autorités administratives et militaires françaises de la région de l’Est viennent de signaler plusieurs faits que j’ai chargé l’ambassadeur de la République à Berlin de porter à la connaissance du gouvernement impérial.