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RAYMOND POINCARÉ

de la Russie. D’autre part, M. de Jagow lui ayant déclaré que la médiation de l’empereur Guillaume était en voie d’aboutissement, il a demandé si l’empereur de Russie en avait été avisé. Le secrétaire d’État ne lui a pas répondu nettement sur ce point. L’ambassadeur de Russie ne sait que penser des affirmations qui lui ont été données. Jules Cambon.

Devant tant d’obscurités et de contradictions, M. Viviani et moi, nous nous étonnons de n’avoir encore rien reçu de Saint-Pétersbourg au sujet de l’ukase qui aurait été pris ce matin, et nous nous demandons qui dit la vérité, de l’ambassadeur d’Allemagne en Russie ou de l’ambassadeur de Russie en Allemagne. Nous cherchons, en même temps, à démêler dans les paroles de M. de Jagow les véritables intentions de l’Allemagne. Le ministre a dit : « Si la Russie ne démobilise pas, nous mobiliserons nous-mêmes. » Il n’a pas dit : « Si la Russie ne démobilise pas, nous lui déclarerons la guerre. » Si M. de Jagow s’en était tenu à ce premier dessein, personne n’aurait eu à le blâmer. Il aurait exercé un droit incontestable, en répondant à une mobilisation générale par une mobilisation générale et, comme le demandait Nicolas II à Guillaume II, les négociations auraient pu continuer.

C’était malheureusement ce qu’on ne voulait pas à Berlin. Le 31, à sept heures du soir, le baron de Schœn se présentait au cabinet de M. Viviani. À ce moment, le président du Conseil n’avait encore reçu, ni de M. Paléologue, ni de M. Isvolsky, la nouvelle officielle de la mobilisation russe. Il ne connaissait que les télégrammes 235 et 236 de M. Jules Cambon. Comme il avait recommandé la veille au gouvernement russe de ne pas pousser jusqu’à la mobilisation générale les précautions militaires, il pouvait croire encore, malgré les informations contraires, que ses conseils avaient été suivis. D’après ce que m’a rapporté M. Viviani, M. de Schœn, s’acquittant de la mission dont il était chargé, lui a fait part de la décision russe et lui a dit qu’en retour l’Allemagne avait cru devoir proclamer le Kriegsgefahrzustand. Comme l’avait expliqué M. Jules Cambon, cette grave mesure donnait au gouvernement impérial tous les droits de l’état de siège. Elle lui permettait, en outre, de fermer la frontière, mais elle ne mettait pas forcément un terme aux pourparlers engagés. Pas plus que M. de Jagow, d’ailleurs, le baron de Schœn n’a annoncé l’intention de l’Allemagne de déclarer la guerre à la Russie, si elle ne démobilisait pas ; il a seulement envisagé cette guerre comme une possibilité ultérieure et il a demandé à M. Viviani ce que, dans cette hypothèse, ferait la France : garderait-elle la neutralité ? M. Viviani avait prévu la question. Il m’en avait parlé. Nous avions pensé tous deux qu’il serait prudent, si elle était posée, de ne pas répondre immédiatement que la France remplirait ses devoirs d’alliée. Toute minute qui