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RAYMOND POINCARÉ

ration ralentissent les dispositions de l’Allemagne, loin de là. Nous sommes donc peut-être, malgré la sagesse du gouvernement de la République et le calme de l’opinion, à la veille des événements les plus redoutables. De toutes les informations qui nous arrivent, il résulte que, si l’Allemagne avait la certitude que le gouvernement anglais n’interviendrait pas dans un conflit où la France serait engagée, la guerre serait inévitable et qu’en revanche, si l’Allemagne avait la certitude que l’Entente cordiale s’affirmerait, le cas échéant, jusque sur les champs de bataille, il y aurait les plus grandes chances pour que la paix ne fût pas troublée.

Sans doute, nos accords militaires et navals laissent entière la liberté du gouvernement de Votre Majesté et, dans les lettres écrites en 1912 entre sir Ed. Grey et M. Paul Cambon, l’Angleterre et la France se sont simplement engagées, l’une vis-à-vis de l’autre, à causer entre elles en cas de tension européenne et à examiner ensemble s’il y avait lieu à une action commune. Mais le caractère d’intimité que le sentiment public a donné, dans les deux pays, à l’entente de l’Angleterre et de la France, la confiance avec laquelle nos deux gouvernements n’ont cessé de travailler au maintien de la paix, les sympathies que Votre Majesté a toujours témoignées à la France, m’autorisent à Lui faire connaître, en toute franchise, mes impressions, qui sont celles du gouvernement de la République et de la France entière.

C’est, je crois, du langage et de la conduite du gouvernement anglais que dépendent désormais les dernières possibilités d’une solution pacifique.

Nous avons nous-mêmes, dès le début de la crise, recommandé à nos Alliés une modération dont ils ne se sont pas départis. D’accord avec le gouvernement royal et conformément à la suggestion de sir Ed. Grey, nous continuerons à agir dans le même sens. Mais si tous les efforts de conciliation portent du même côté et si l’Allemagne et l’Autriche peuvent spéculer sur l’abstention de l’Angleterre, les exigences de l’Autriche demeureront inflexibles et un accord deviendra impossible entre la Russie et elle. J’ai la conviction profonde qu’à l’heure actuelle plus l’Angleterre, la France et la Russie donneront une forte impression d’unité dans leur action diplomatique, plus il sera encore permis de compter sur la conservation de la paix.

Votre Majesté voudra bien excuser ma démarche, qui n’est inspirée que par le désir de voir l’équilibre européen définitivement raffermi. Je prie Votre Majesté de croire à mes sentiments les plus cordiaux. R. Poincaré.

À 3 h. 20 du soir, M. Viviani télégraphiait à M. Paul Cambon : M. William Martin arrivera ce soir, à 10 h. 45 ; il sera porteur d’une lettre de M. le président de la République pour le roi d’Angleterre. Veuillez faire en sorte que cette lettre puisse être remise ce soir même à son destinataire.

Mais, avant l’arrivée de M. William Martin, M. Paul Cambon envoyait encore à Paris une série de télégrammes qui n’étaient pas faits pour nous tirer entièrement de perplexité.

Londres, le 31 juillet, 13 h. 4. J’ai fait parvenir à sir Edward Grey au