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RAYMOND POINCARÉ

deux par jour, je parcours les allées à grands pas, avec Mme Poincaré.

Cette nuit sont arrivés de nouveaux télégrammes. De Londres : Le prince Lichnowsky, ambassadeur d’Allemagne, n’a pas apporté de réponse à la demande que lui avait adressée hier sir Ed. Grey pour obtenir du gouvernement allemand une formule d’intervention des quatre Puissances dans l’intérêt de la paix. Mais mon collègue d’Allemagne a questionné le secrétaire d’État des Affaires étrangères sur les préparatifs militaires de l’Angleterre. Sir Ed. Grey lui a répondu qu’ils n’avaient aucun caractère offensif, mais que, dans l’état actuel des affaires sur le continent, il était naturel de prendre quelques précautions ; qu’en Angleterre comme en France on désirait le maintien de la paix et que si, en Angleterre comme en France, on envisageait des mesures défensives, ce n’était pas dans la pensée de préparer une agression. J’ai communiqué ce matin à sir Ed. Grey, qui était en conférence avec le Premier ministre, votre télégramme indiquant l’intention du gouvernement allemand de mobiliser si la Russie ne mettait pas fin à ses préparatifs militaires. Cette après-midi, j’ai vu le secrétaire d’État des Affaires étrangères. Il m’a répété ce qu’il m’avait dit hier sur l’indifférence de l’opinion anglaise pour les conflits austro-russes relatifs aux Slaves et a ajouté que le moment n’était pas encore venu d’envisager une intervention britannique. Il faut noter que, depuis quelques jours, de puissantes influences allemandes s’exercent dans la presse et le Parlement, par le monde de la Cité peuplée de financiers d’origine germanique. Plusieurs membres du cabinet subissent ces influences, et il est possible que M. Asquith n’ose pas prendre, dès à présent, une attitude résolue. Mais il est personnellement partisan de l’intervention. Signé : Cambon.

Ces hésitations anglaises peuvent devenir funestes et elles me paraissent plus redoutables encore, lorsque, l’après-midi, nous recevons ce télégramme de M. Jules Cambon :

Berlin, le 31 juillet, 1 h. 30. Très urgent. L’attitude de l’ambassadeur d’Angleterre à Berlin correspond aux hésitations que révèle le langage de sir Ed. Grey et à celles de l’ambassadeur d’Angleterre à Rome. Cette attitude est de nature à entraîner les plus terribles conséquences, car ici on envisage avec espoir de succès la lutte contre la France et la Russie, si elles sont seules. Il n’y a que l’éventualité de l’intervention de l’Angleterre qui émeuve l’Empereur.

Dès 12 h. 30, M. Viviani avait adressé à M. Paul Cambon le télégramme ci-après : Paris, 31 juillet. L’armée allemande a ses avant-postes sur nos bornes frontières. Hier, vendredi (sic, mais hier était jeudi), par deux fois, des patrouilles allemandes ont pénétré sur notre territoire. Nos avant-postes sont en retrait à dix kilomètres en arrière de la frontière. Les populations ainsi abandonnées à l’attaque de l’armée adverse protestent, mais le gouvernement tient à montrer à l’opinion et au gouvernement anglais que l’agresseur ne sera en aucun cas la France.

Mais le gouvernement anglais ne se décide pas. Il observe avec une