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comment fut déclarée la guerre de 1914

Toujours est-il que la mort de l’archiduc, devançant celle du vieil Empereur, ne rouvrait pas seulement la question balkanique ; elle posait la question d’Autriche. Depuis quelque temps déjà, le malaise intérieur de l’Autriche s’était accru. La perte du trône d’Albanie par le prince Guillaume de Wied avait été ressentie à Vienne comme une blessure d’amour-propre, presque comme une humiliation. L’empereur Guillaume II avait lui-même cru bon de revoir son confident et ami François-Ferdinand et de s’entretenir de nouveau avec lui des affaires d’Orient. Rendez-vous avait été pris pour le 12 juin dans la propriété préférée de l’archiduc héritier à Konopischt, en Bohême. Dans son livre, Ursachen und Ausbruch des Weltkrieges, M. de Jagow a plaisamment donné, comme raison de cette entrevue princière, le désir qu’avaient l’Empereur et l’Archiduc d’admirer ensemble la floraison des roses. C’est une idylle, et voilà tout. Après la rencontre, M. de Tschirschky, ambassadeur d’Allemagne à Vienne, envoyait cependant au chancelier un rapport qui débutait ainsi : Le comte Berchtold a été invité à Konopischt par l’archiduc François-Ferdinand, après le départ de Sa Majesté l’Empereur. Le ministre m’a raconté aujourd’hui que S. A. impériale et royale a déclaré être satisfaite au plus haut point de la visite de S. M. l’Empereur. Elle a discuté avec Sa Majesté toutes les questions possibles et a pu constater l’entière concordance de leurs vues.

Quels qu’aient été les sujets traités dans ces mystérieuses conversations, il est à noter qu’elles ont été immédiatement suivies de mesures militaires inexpliquées. Le 27 juin, c’est-à-dire la veille de l’attentat de Serajevo, notre ministre à Belgrade écrivait : Des mesures militaires ont été prises depuis quelques jours sur la frontière serbe. On a concentré cent mille hommes en Bosnie et en Dalmatie, et établi un cordon de troupes et de gendarmerie sur les bords de la Save et du Danube, d’Orsova à Raca. La brigade de Semlin a été munie de cavalerie et d’artillerie. Le chemin de fer est gardé militairement de Semlin à Szabatka.

Ce n’était pas tout. Entre le 14 et le 27 juin, avant que l’archiduc fût parti pour Serajevo, le Ballplatz rédigeait un important mémoire destiné à démontrer que la situation était devenue intolérable pour l’Autriche dans les Balkans. Après la révolution du 9 novembre 1918, en une heure où l’Allemagne presque tout entière semblait ouvrir les yeux à la vérité, Karl Kautsky, secrétaire d’État adjoint des Affaires étrangères du Reich, remarquait avec raison qu’on ne pouvait guère voir en ce document du Ballplatz autre chose qu’un projet, conçu en style diplomatique, de guerre préventive contre la Russie. Les auteurs du mémoire s’en prenaient, en effet, d’abord à la Roumanie, dont le roi, tout Hohenzollern qu’il fût, venait de recevoir le Tsar à Constantza, et qu’ils dénonçaient comme cherchant, en dépit de toutes les « remontrances amicales », à