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dons, d’autre part, que trois cents canons d’artillerie lourde attelée, celle que je suis allé examiner aux manœuvres de 1912 et de 1913. Notre fabrication, d’abord poussée il y a deux ans, a été ralentie faute de crédits. Les Allemands passent, au contraire, pour disposer de cinq mille canons de 77, de quinze cents obusiers légers, de deux mille obusiers lourds, canons longs et mortiers de types variés. Sans doute, ce puissant matériel doit subvenir aux besoins de deux théâtres distincts d’opérations, la France et la Russie ; mais, en dépit de ce partage forcé, la supériorité de l’Allemagne en artillerie lourde reste, par rapport à nous, très inquiétante. Nous pouvons, il est vrai, emprunter de bonnes pièces de siège à des places qui ne semblent pas menacées et, puisque nos côtes de la Manche et de l’Océan sont protégées par la flotte britannique, nous avons également la ressource de puiser dans nos batteries maritimes. Mais, tout compte fait, nous ne serons certainement pas en mesure d’opposer à l’ennemi autant de canons et de munitions qu’il en va utiliser contre nous.

Jusqu’à quel point la valeur de nos cadres et l’instruction de nos hommes vont-elles corriger et compenser l’insuffisance de notre armement ? M. Messimy, ministre de la Guerre, a dit au Conseil qu’il avait pleine confiance ; puis, tout à coup, étranglé par l’émotion, il s’est arrêté et, la tête dans les mains, s’est pris à sangloter. Il s’est vite dominé et a répété que la victoire était certaine. L’état-major nous tient, de son côté, le langage le plus rassurant. Mais, en ce moment, qui de nous connaît de son plus proche voisin la pensée intime ? Si j’éprouve moi-même quelques doutes,