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l’écart au fond du salon, l’air étrange et mystérieux.

Le grand orateur catholique, le comte Albert de Mun, chez qui vont de pair le patriotisme et le talent, me rend également visite. Il me dit que désormais condamné par un mal impitoyable à ne plus aborder la tribune, il met, du moins, sa plume au service de la cause nationale. Il me félicite chaleureusement de mon message et attribue trop bienveillamment à mon influence présidentielle les avantages inespérés, dit-il, de la situation diplomatique. Je lui réponds que nos alliances ont été préparées et fortifiées par tous les gouvernements républicains qui se sont succédé et que nous recueillons aujourd’hui le fruit d’efforts prolongés.

M. Aristide Briand, lui aussi, se présente à mon cabinet et, peu après lui, M. Millerand. Tous deux trouvent, et non sans raison, qu’à l’heure grave où nous sommes, la base du cabinet Viviani est trop étroite et qu’il conviendrait de l’élargir. C’est également mon avis et je n’en ai pas fait mystère au président du Conseil. Je souhaiterais qu’on pût former immédiatement un vrai ministère d’union sacrée, où seraient représentés et groupés tous les partis politiques. « Mais si j’ouvre la porte, me dit Viviani, beaucoup trop de candidats chercheront à y passer et je serai débordé. » Innombrables, en effet, sont les hommes qui, de très bonne foi, se jugent en ce moment indispensables au pays. Est-ce goût du risque ? Est-ce esprit de devoir et de sacrifice ? Est-ce ambition ou vanité ? Les mobiles varient, sans doute, suivant les individus, mais le résultat est un : tout le monde se précipite vers M. Viviani, avec une même impatience de participer au pouvoir. M. Briand me dit que le président