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rive droite de la Meuse. Autrefois, en 1911, un autre plan, dressé par le général Michel, avait admis l’hypothèse d’une manœuvre enveloppante ennemie à beaucoup plus grand rayon. Notre état-major a répugné à persister dans une supposition qui présumait une aussi audacieuse violation du droit des gens. Honnête, trop honnête erreur. Ce que nous ne savons pas, ce que nous apprendrons bientôt à nos dépens, c’est que le mépris de la neutralité belge a été, depuis 1891, c’est-à-dire depuis l’époque où le comte Schlieffen a remplacé Waldersee à la tête de l’état-major allemand, le sentiment qui a inspiré à Berlin toutes les conceptions stratégiques. Le général von Moltke, qui a succédé en 1906 à Schlieffen, semble avoir conservé les idées maîtresses de son prédécesseur. N’allons nous pas être obligé de modifier demain, in extremis, nos principales dispositions militaires ?

Pour le moment, tout marche à souhait. Dans la presse, aucune note discordante. L’état de siège a été proclamé, la censure est établie ; mais, dans l’enthousiasme général, aucune de ces mesures d’exception n’est vraiment nécessaire pour assurer l’unité de l’opinion nationale. Les ministres donnent sans effort l’exemple vivant de la concorde ; ils oublient que récemment ils étaient presque tous mes adversaires politiques ; ils me témoignent un affectueux dévouement ; ceux qui dirigent les services les plus importants viennent à mon cabinet plusieurs fois par jour ; nous avons décidé de tenir, en outre, une réunion quotidienne, sous ma présidence, soit en Conseil des ministres, soit en Conseil de la défense nationale. Nous y examinons en pleine confiance les innombrables questions que chaque heure nous presse de régler, tant à l’étranger qu’à l’intérieur.