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LE DROIT DE GRACE


Vendredi 8 février.

Clemenceau vient me voir dans la matinée. Il a appris, me dit-il, que j’avais l’intention de faire descendre dans les caves le poste et les sentinelles de l’Élysée, en cas de nouveaux bombardements. Il me prie de ne le pas faire. « Ces soldats, déclare-t-il, sont en service commandé comme ceux des casernes et les autres ne sont jamais abrités dans des caves. » Je lui réponds que je déférerai à son désir. Il me dit, en second lieu, avec toutes les formes d’une irréprochable politesse, qu’il ne considère pas comme très constitutionnel de m’envoyer à signer des décrets en blanc dans les affaires de grâce, et de me laisser la pleine liberté de décision. Je lui réponds que cet usage remonte à l’époque où le chef de l’État avait à lui seul le droit de grâce, mais qu’il peut l’abroger, s’il le juge à propos. « Je ne prévois, d’ailleurs, ajouté-je, aucun désaccord avec vous sur une question de grâce. »

La conversation porte ensuite, comme toujours, sur les sujets les plus variés. Il a, me dit-il, conféré avec Bracke et Cachin à propos des réunions publiques. Il compte les interdire, mais autoriser des réunions privées dans des préaux d’écoles. Il faut, dit-il, en ce moment-ci rendre et reprendre successivement la bride. Il pratique l’opportunisme qu’il a naguère si vivement attaqué.

Il me répète qu’à la demande de Pétain, il va rappeler Fayolle. « Il me revient de plusieurs côtés que les théories défensives de Pétain semblent un peu excessives à beaucoup d’officiers. Alors je me mets à faire de la stratégie. » (Je frémis.) « Mais je prends les conseils de Foch. Celui-ci m’a remis une note démontrant que Pétain a tort d’abandonner trop facilement la première position en cas d’attaque. J’ai démarqué cette note en style de civil et j’en fais l’objet d’une