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L’ALLEMAGNE ET LE MAROC

étrangères ; et, comme notre ambassadeur est sur le point de partir pour la France : « Rapportez-nous quelque chose de Paris, » lui dit, le sourire aux lèvres, M. de Kiderlen-Wæchter. Dix jours plus tard, le 1er juillet, sans que rien nous ait permis de nous attendre à ce nouveau coup de poing sur la table, M. de Schœn se présente au cabinet de M. de Selves et lui remet une note pour lui annoncer l’envoi d’un navire de guerre à Agadir. Le prétexte ? Une certaine agitation parmi les tribus du sud et la nécessité de veiller à la sécurité des Allemands. Or il n’y a aucune agitation dans la contrée d’Agadir ; il n’y a même pas de maisons allemandes à y protéger. M. de Schœn ne dissimule pas, du reste, à M. de Selves que l’Allemagne a surtout l’intention de causer avec la France de l’ensemble des questions africaines. Pour causer, elle prend un revolver ; et pendant toute la négociation, le Panther va rester là, les canons braqués sur la côte. Comment la France, ainsi traitée, n’eût-elle pas eu l’impression d’être systématiquement humiliée ? Comment ne se serait-elle pas sentie blessée dans sa dignité nationale ? Et comment moi-même, en arrivant au ministère, ne me serais-je pas rendu compte de la sourde irritation qu’avait, une fois de plus, causée dans le pays « la manière lourde et brutale » de l’Allemagne ? Je me disais que mon devoir allait être, tout ensemble, de calmer les esprits et d’empêcher que de nouveaux défis ne les vinssent surexciter ; et ce double résultat ne me semblait pouvoir être obtenu que par une politique de prudence et de circonspection, qui ne fût pas cependant une politique de faiblesse et d’abandon.