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LE LENDEMAIN D’AGADIR

lui, « d’éliminer définitivement de la pensée et de l’action de la France la politique de revanche[1]. » Il ajoutait : « Je sais que l’Allemagne, même quand elle croit simplement se prémunir contre une agression du dehors, a une manière brutale et lourde qui laisse dans les cœurs le ressentiment, et ces procédés sont comme aggravés par les brusques oscillations d’une volonté irresponsable. » C’était « cette manière lourde et brutale » qui venait encore de se manifester devant Agadir, et cette fois sans l’apparence même d’une excuse, car j’imagine que, ni sous le ministère Monis, ni à l’avènement du ministère Caillaux, l’Allemagne n’avait aucun motif de se prémunir contre une agression. S’il était vrai que l’idée de revanche eût été, suivant le mot de M. Charles Maurras[2], « une reine de France » pendant vingt ans, c’était, même durant cette période, une reine constitutionnelle, qui ne pouvait rien sans le gouverne-’ ment ; et nul cabinet n’aurait pris la responsabilité de provoquer, dans l’espoir de la revanche, une guerre dont personne n’était en mesure de prévoir l’issue et qui, même victorieuse, devait fatalement être meurtrière. A maintes reprises cependant, l’Allemagne impériale nous avait fait sentir la violence et la grossièreté de ses procédés. Comme l’a écrit un Allemand de bonne foi, le professeur Fr. W. Fœrster[3], elle avait voulu « éterniser le droit du poing en politique ».

Après avoir chargé le prince de Hohenlohe, en 1880, à la veille de la conférence de Madrid, de dire à M. de Freycinet qu’elle n’avait pas d’in-

  1. L’Humanité, 23 octobre 1905.
  2. Kiel et Tanger.
  3. Mes Combats, librairie Istra, Strasbourg.