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M. JEAN JAURÈS

tour arriver à l’improviste. Il n’avait pas apporté son dossier et, bien qu’à l’ordinaire il parlât sans aucune note, il demanda le renvoi au vendredi 8. Le jour venu, il prononça un ardent réquisitoire contre la politique marocaine suivie successivement par MM. Delcassé, Clemenceau, Pichon, Briand, Monis et Cruppi. En achevant son discours il annonça qu’il s’en prendrait, dans une autre séance, à MM. Caillaux et de Selves.

MM. Delcassé, Caillaux, Briand, Cruppi, présents à la Chambre, brûlaient de répondre. Il pouvait s’ensuivre un débat lamentable. Je les priai instamment de se taire et leur promis, à tous, de m’expliquer brièvement sur leurs actes comme sur les miens. Le vendredi 15, en effet, je montrai à la Chambre combien des controverses rétrospectives étaient vaines et périlleuses. Je trouvais, disais-je, très naturelle l’émotion de ceux qui avaient été mis en cause par M. Jaurès, qu’ils fussent étrangers au Parlement ou qu’ils en fissent partie. Je comprenais que d’anciens ministres eussent éprouvé le besoin de se justifier et de répondre à des attaques passionnées. Leur désir était d’autant plus légitime « qu’autour de quelques-uns des hommes descendus du pouvoir avaient même rôdé ces calomnies odieuses qui assaillent si souvent en France ceux qui consacrent leur intelligence et leur temps aux affaires publiques. » Mais eux-mêmes ne pouvaient produire les pièces les plus décisives sans l’assentiment des puissances étrangères. À s’opposer les uns aux autres, ils n’obtiendraient d’autre résultat que d’affaiblir la France, en divisant devant le monde les hommes qui 1’avaient successivement dirigée. Je les adjurais donc, de nouveau, de garder le silence et je