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JEAN JAURÈS

abstraction faite d’imprudences de langage qu’avait pu commettre M. Caillaux, notre ambassadeur à Berlin eût été d’accord avec l’ancien chef du gouvernement sur les solutions à rechercher.

J’étais donc tout disposé, pour éviter des débats fâcheux, à proclamer que tous les gouvernements qui nous avaient précédés avaient fait leur devoir. Mais cette déclaration allait-elle suffire pour calmer la fièvre qui tourmentait encore secrètement la Chambre des députés ? Le vendredi 1er mars, M. Piou, sans reprendre la motion à laquelle il avait renoncé, avait signé, avec cinquante de ses collègues de droite, une proposition qui avait pour objet de réunir l’Assemblée nationale et de réviser l’article 8 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875. L’article 8 est celui qui donne au président de la République, sous la responsabilité du gouvernement, et qui, par conséquent, réserve, en réalité, au gouvernement lui-même le droit de négocier et de ratifier les traités, avec faculté de choisir l’heure à laquelle ils seront communiqués aux Chambres. C’était aux traités conclus en 1902 et en 1904 avec l’Italie et avec l’Espagne qu’en avait M. Piou ; et il s’écriait : « Faites le bilan de ces conventions et de ces négociations secrètes : de longues années de malaise, deux fois la guerre en perspective… — M. Jaurès : trois fois ! — M. Jacques Piou… des sacrifices dans quatre parties du monde ; après Tanger, Agadir ; après Algésiras, Berlin ; le Congo démembré ; un protectorat mutilé, partout des points de friction avec l’Allemagne, d’interminables négociations à Madrid, où la fierté castillane joue avec la bonne grâce française, des intimités fatiguées qui se relâchent, des amitiés anciennes qui se refroi-