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M. GEORGES CLEMENCEAU

suprématie et, aux acclamations du Sénat tout entier, il s’écriait : « De bonne foi, nous voulons la paix, nous la voulons parce que nous en avons besoin pour refaire notre pays. Mais enfin, si on nous impose la guerre, on nous trouvera. (Vifs applaudissements sur tous les bancs.) La difficulté entre l’Allemagne et nous est celle-ci : c’est que l’Allemagne croit que la logique de sa victoire est dans la domination et que nous ne croyons pas que la logique de notre défaite soit dans la vassalité. (Double salve d’applaudissements sur tous les bancs.) Nous sommes pacifistes, — pacifiques, pour dire le mot exact — mais nous ne sommes pas soumis. Nous ne souscrivons pas à l’arrêt d’abdication et de déchéance prononcé par nos voisins. Nous venons d’une grande histoire, nous entendons la conserver. » (Approbation unanime)[1].

Pour que le Sénat approuvât unanimement ces paroles enflammées, il fallait qu’après Tanger et Agadir la tristesse d’avoir négocié et traité « sous le canon » demeurât, malgré tout, bien tenace au fond des âmes françaises. Comment n’aurais-je pas senti que cet état d’esprit imposait au gouvernement l’obligation de concilier deux devoirs, celui d’épargner à notre pays des atteintes à sa dignité et celui de chercher à écarter, par une sagesse et une vigilance de tous les instants, les risques de guerre qui pouvaient se renouveler ?

L’approbation du traité fut enfin votée par 212 voix contre 42. A peine le scrutin était-il proclamé que M. Jenouvrier proposa une enquête

  1. Journal officiel du 11 février 1912. Sénat, séance du 10 février, p. 233.