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LA COMMISSION DU SÉNAT

mois de 1912, que nous n’étions pas nous-mêmes en guerre avec la Turquie et que nous n’avions pas le droit de nous jeter dans la mêlée en faveur de l’Italie. Malgré les instructions qu’il avait reçues du marquis di San Giuliano, il avait pris, depuis la remise des Turcs à la France, un tel ton de sécheresse et une attitude si revêche que j’avais dû prier M. Barrère d’en informer le gouvernement italien. Je savais, d’ailleurs, de plusieurs sources et notamment par deux lettres de députés italiens que m’avait communiquées un collègue du Sénat, M. Gustave Rivet, que le subtil ambassadeur, très lié avec M. de Schœn et M. Isvolsky, m’attribuait volontiers, non seulement des propos que je n’avais pas tenus, mais des arrière-pensées contraires à mes affirmations explicites. J’avais la certitude qu’il ne rapportait pas exactement à la Consultà le sens de mes paroles, qu’il me reprochait de n’attacher aucune importance aux accords de 1902 et qu’il partait de là pour conseiller à son gouvernement d’exercer contre nous des représailles au Maroc. Je m’employai de mon mieux à ramener mon très intelligent et trop défiant interlocuteur. Il me fournit lui-même bientôt une occasion de lui prouver la loyauté du gouvernement de la République, Il avait appris, au mois de mai, que la Sublime-Porte cherchait à placer en France un emprunt de cent millions. Il m’avait demandé, par lettre privée, d’intervenir auprès des banques pour empêcher une opération qu’il regardait, sinon comme une méconnaissance de la neutralité, du moins comme un acte peu amical. Je m’étais empressé de lui donner tous apaisements.

Il m’en avait marqué une vive reconnaissance et dès lors, j’avais trouvé dans ses yeux perçants,