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disait que ce qu’il voulait dire, ne se livrait jamais et semblait avoir puisé dans Il Principe et Le Deche la substance de son éducation politique.

Il m’assura qu’un vapeur français, parti de Marseille, transportait en Tunisie vingt-neuf officiers turcs. « Vingt-neuf officiers ? fis-je avec étonnement. — Oui. — Si le fait est exact, vous pouvez être tranquille, ils ne débarqueront pas. Je vais donner l’ordre de vérifier à Tunis la qualité des passagers. S’ils sont réellement des officiers, ils n’iront pas en Tripolitaine et reviendront en France. — Je vous remercie ; votre engagement me suffit. Mais veuillez remarquer qu’aux termes de la convention de la Haye, du 18 octobre 1907, une puissance neutre n’est pas responsable, lorsque des individus passent isolément la frontière pour se mettre au service des belligérants. C’est dire que la puissance neutre n’a pas le droit de les laisser passer en groupes et qu’elle n’a pas non plus le droit de laisser passer ceux qui ne vont pas se mettre au service d’un belligérant, mais qui y sont déjà en qualité d’officiers. — Je soumettrai votre raisonnement juridique à l’examen de M. le professeur Louis Renault. Mais je vous répète qu’en tout cas, les vingt-neuf passagers dont vous me parlez n’iront pas en Tripolitaine, s’ils sont des officiers. Je vais télégraphier immédiatement à Tunis pour faire vérifier leur identité. »

J’exprimai ensuite à M. Tittoni le vif étonnement que m’avait causé la saisie du Carthage et je lui dis que la question serait traitée à Rome par notre représentant. M. Barrère étant à Paris, je télégraphiai, d’accord avec lui, à M. Legrand, notre chargé d’affaires, pour le prier de réclamer la prompte libération du navire.