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caine, la presse allemande n’avait pas manqué de dire que c’était la France qui avait délibérément poussé l’Italie dans une aventure. Rien n’était moins exact, et M. Barrère prit soin, dans une lettre ultérieure[1], de me montrer l’inanité de ce reproche. « Jamais, m’écrivait-il, jamais, depuis 1912 jusqu’à la déclaration de guerre, une seule parole n’a été adressée par cette ambassade à aucun homme d’État italien, qui pût être considérée comme un encouragement à s’emparer de Tripoli. La prudence dont on a fait preuve sur ce sujet délicat a été telle qu’elle a même pu passer auprès des hommes d’État italiens pour de la froideur, et c’est à la lettre qu’il m’est permis d’affirmer que même dans les conversations familières intervenues entre l’ambassadeur ou les chargés d’affaires de France et les différents ministres des Affaires étrangères de ce pays, ceux-ci n’ont pas eu l’occasion de relever un seul mot dont la diplomatie italienne pourrait se prévaloir pour dire que la France a encouragé ou approuvé l’opération belliqueuse dont elle a pris l’initiative sous sa seule responsabilité. En agissant autrement, notre diplomatie aurait commis une grave erreur de jugement. Il tombait sous le sens que, si notre intérêt bien entendu conseillait de nous assurer dans la Méditerranée le bon vouloir de nos voisins et de conquérir leur appui dans des conflits avec d’autres puissances, nous n’avions aucun motif de devancer l’heure où l’Italie croirait devoir réaliser ses ambitions coloniales. Cette heure paraissait, d’ailleurs, fort éloignée aux Italiens eux-mêmes ; et ce sera une des circonstances les plus singulières de cette guerre, que per-

  1. Lettre du 29 avril 1912