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tôt ou tard, la Tripolitaine fût italienne. « Le gouvernement italien, avait-il répondu, obtiendra Tripoli, mais le chasseur doit tirer le cerf lorsqu’il est à portée, afin qu’il ne puisse s’enfuir, au cas où il serait blessé[1]. Il ne dépendait pas de lord Salisbury de tenir un autre langage : dès le 12 décembre 1887, avait été conclue, entre l’Angleterre, l’Italie et l’Autriche, une entente méditerranéenne, par laquelle l’Italie s’engageait, dans l’hypothèse où le statu quo serait troublé, à appuyer l’œuvre de la Grande-Bretagne en Égypte, et l’Angleterre s’obligeait à seconder éventuellement l’action de l’Italie dans la Tripolitaine et la Cyrénaïque. Les paroles étaient échangées. L’Italie s’était réservé le droit de tirer elle-même sur le cerf. L’Angleterre ne pouvait pas arrêter la chasse.

D’autre part, le 6 mai 1891 et le 28 juin 1902, le traité de la Triple-Alliance, tout en exprimant le vœu platonique que ce même statu quo fût provisoirement maintenu sur la côte septentrionale du continent africain, avait prévu le cas où l’Italie serait amenée à s’établir sur ce littoral, et il lui avait assuré le privilège de cette occupation. Deux jours après les signatures du 28 juin 1902, l’Italie avait, en outre, obtenu de Vienne une déclaration secrète, par quoi le gouvernement impérial et royal « n’ayant pas d’intérêt spécial à sauvegarder dans la Tripolitaine et la Cyrénaïque » se disait « décidé à ne rien entreprendre de ce qui pourrait contrecarrer l’action de l’Italie[2] ».

  1. V. sur les antécédents et les suites de la guerre italo-turque, La Turquie, l’Allemagne et l’Europe, par le général M. Moukhtar Pacha, ancien ambassadeur de Turquie à Berlin. Berger-Levrault, éditeur, p. 115 et s.
  2. Traité secret, publié par Pribram, vol. I, p. 97.