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LA COMMISSION DU SÉNAT

aéroplane était contrebande de guerre et que M. Duval pouvait avoir l’arrière-pensée de livrer le sien aux autorités turques de Tripolitaine.

C’est ainsi que, depuis plusieurs mois, par un enchaînement fatal, une complication en amenait une autre. Les opérations entreprises au Maroc sous le ministère Monis, l’affaire d’Agadir, les négociations engagées en 1911 par la France avec l’Allemagne, avaient réveillé en Italie l’ambition des conquêtes coloniales.

Depuis longtemps, l’imagination romaine s’était taillé sa part de l’Afrique méditerranéenne. Elle avait spécialement convoité les territoires qu’encadraient l’Égypte et la Tunisie. La Tripolitaine, à laquelle allait être rendu le nom de l’antique Libye n’était-elle pas une vieille province impériale ? L’Italie n’avait-elle pas à reprendre l’héritage de l’antiquité ? Le sol où s’étaient élevées jadis les cités florissantes de Bérénice et d’Arsinoé, de Cyrène et d’Apollonie, pouvait-il appartenir à d’autres qu’aux fils aînés de Rome ? Il y avait des années que la proverbiale habileté de la diplomatie italienne avait préparé les voies à l’opération projetée et obtenu l’abstention des grandes puissances européennes.

Crispi rapporte déjà dans ses mémoires que le 23 juillet et le 16 août 1890, il avait écrit lui-même à lord Salisbury que, dans l’intérêt de la Grande-Bretagne et pour compenser l’effet du protectorat établi par la France en Tunisie, il serait bon que l’Italie s’emparât de la Tripolitaine. Lord Salisbury avait recommandé la patience ; il avait jugé que l’heure n’était pas sonnée, mais il avait reconnu que, pour empêcher que la Méditerranée ne devînt un lac français, il faudrait, en effet, que