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LE LENDEMAIN D’AGADIR

messieurs, nous voyons en elles les soutiens sacrés de la République et de la patrie. »

Le lundi matin, l’Officiel publia les décrets. Je rendis aussitôt visite à MM. Caillaux et de Selves, qui me passèrent aimablement les services. La presse française restait très sympathique et saluait le nouveau gouvernement du nom de grand ministère. Certains journaux exprimaient cependant la crainte qu’un cabinet comprenant plusieurs hommes de premier plan ne pût vivre longtemps en bonne intelligence. M. Jaurès disait que je risquais d’être un fil bien ténu pour relier tant de grands personnages. Dans l’Éclair, M. Judet était maussade ; il trouvait vicieuse la composition du cabinet ; j’avais voulu, disait-il, concilier l’inconciliable et plaire à tout le monde. Il n’en marquait pas moins lui-même la gravité des circonstances. « Ce n’est point ainsi, déclarait-il tragiquement, que se refera l’accord patriotique, sans lequel il n’y aura jamais de force ni pour négocier, ni pour sauver notre indépendance et nos frontières. » Sauver nos frontières et notre indépendance ! M. Judet les croyait-il donc déjà menacées sous les ministères qui avaient précédé celui de 1912 ?

En Angleterre, les appréciations étaient extrêmement chaleureuses. En Allemagne, ni hostilité ni mauvaise humeur. L’agrarienne Deutsche Tageszeitung me traitait aimablement d’homme réfléchi et le Berliner Tageblatt remarquait : « Le cabinet Poincaré ne peut être que favorablement accueilli en Allemagne. » Les Berliner neueste Nachrichten ajoutaient : « Le choix de M. Raymond Poincaré comme président du Conseil peut être accueilli également chez nous avec sympathie. L’autorité dont il jouit est d’autant plus grande