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LE LENDEMAIN D’AGADIR

doigts, mais avec tant de prestesse et d’agilité qu’on ne pouvait se lasser de l’admirer. Il excellait dans la conciliation des contraires et dans l’art des adaptations successives. Il semblait avoir des organes sensoriels secrets pour flairer les occasions, pressentir les événements, sonder la pensée d’un interlocuteur et dégager l’opinion moyenne d’un auditoire. Aux heures difficiles, il pouvait être un conseiller précieux.

Je courus chez lui. Il était sorti. Je le fis chercher. Je priai MM. Jean Dupuy et Guist’hau de venir, eux aussi, causer avec moi. Tous trois arrivèrent peu après. J’offris à M. Briand le portefeuille de la Justice ; il hésitait, il paraissait trouver que les temples sereins de la chancellerie étaient bien sévèrement fermés à la politique ; il préférait l’Intérieur, qui a de plus larges vues sur le Parlement : « Mais le garde des Sceaux, disais-je, est vice-président du Conseil. — Tout au moins, insistait M. Briand, faudrait-il que ce titre fût consacré par un décret spécial. — Vous savez que ce n’est point l’usage. À quoi bon un décret puisqu’il n’y a aucun doute sur la réalité ? » M. Briand réserva sa réponse jusqu’à la fin de la journée. Son ami M. Guist’hau, à qui je proposais l’Instruction publique, ne me fit aucune objection personnelle, mais comment Euryale n’eût-il pas lié son sort à celui de Nisus ? Je fus forcé d’attendre également jusqu’au soir l’acceptation ou le refus de M. Guist’hau.

M. Jean Dupuy, sénateur des Hautes-Pyrénées, me tint des propos moins évasifs. Il démontrait chaque jour, par sa conduite publique et privée, que si le bon sens n’est malheureusement pas toujours dans les milieux politiques « la chose du