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LA COMMISSION DU SÉNAT

de grands services par ses qualités d’organisation, ses habitudes méthodiques et son labeur obstiné.

Je me mis ensuite à la recherche de M. Aristide Briand. Je ne le connaissais pas, comme M. Millerand, depuis de longues années. Il était entré à la Chambre des députés au moment où je la quittais pour le Sénat et, en dehors de notre commune participation au cabinet Sarrien, nous n’avions eu que des rencontres espacées. Il était resté dans le ministère Clemenceau, dont je m’étais exclu ; il avait ensuite formé lui-même, le 24 juillet 1909, un premier gouvernement, où il avait pris le portefeuille de l’Intérieur ; il en avait constitué un nouveau le 3 novembre 1910 et s’était retiré le 24 février 1911, à la suite d’une interpellation sur la politique religieuse. Il avait évolué, avec une étonnante souplesse, au milieu des partis. Jadis, dans les congrès socialistes, il avait tenu un langage dont l’audace révolutionnaire avait indigné l’armée et fait trembler la bourgeoisie ; mais c’était en décembre 1899 ; plus de dix ans avaient passé. L’armée avait oublié et la bourgeoisie avait pardonné. Elle pardonne volontiers à ceux qui l’ont menacée, lorsqu’elle les croit capables de la défendre. Depuis ces temps lointains, M. Briand avait soutenu, avec un merveilleux talent oratoire, les projets de lois qui avaient séparé les Églises de l’État et par là il avait pris sur les gauches un extraordinaire ascendant. Puis, le 12 octobre 1909, il avait prononcé à Périgueux un discours d’apaisement, que les radicaux avaient jugé trop modéré et qui lui avait ramené la faveur des droites. Tous les groupes le recherchaient à l’envi. Il leur glissait entre les