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LE LENDEMAIN D’AGADIR

mination. Ce diable d’homme était partout trop à l’étroit. En 1910, Paul Hervieu et moi, nous avions eu l’idée de le faire élire à l’Académie. Il avait refusé, pour demeurer, disait-il, « fidèle à lui-même » ; et comme j’insistais, il m’avait écrit qu’il gardait « de cette aventure un très agréable souvenir, mais qu’il était obligé de me donner un non catégorique ». Comment aurais-je pu me flatter d’enrôler, dans un ministère qu’il n’eût pas présidé, un personnage aussi jaloux de son indépendance et de sa primauté ?

Je savais, en outre, qu’il était hostile à la réforme électorale, dont la Chambre avait voté le principe et que je ne croyais pas pouvoir abandonner. J’étais sûr enfin qu’il ne se rallierait pas au traité du 4 novembre, dont le rejet eût été, suivant moi, un grave péril pour la paix. Je ne vis donc pas M. Clemenceau. Mais, voulant constituer un gouvernement qui donnât, tout de suite, au dedans et au dehors, une impression de grande force morale, je cherchai à recruter, dans les partis de gauche, des hommes d’une autorité reconnue. J’allai trouver, dans son rez-de-chaussée de l’avenue de Villars, mon ami de jeunesse, Alexandre Millerand. Nos anciennes divergences politiques n’avaient pas altéré l’affection que j’avais toujours eue pour lui. Mieux que personne, je connaissais son bel optimisme, sa puissance de travail et sa ténacité. Ministre des Travaux publics dans un récent cabinet Briand, il avait fait preuve, devant une grève de cheminots, d’un rare esprit de décision. Comme M. Delcassé, il eût préféré, me dit-il, le portefeuille des Affaires étrangères ; mais il accepta celui de la Guerre et je pensai qu’à la rue Saint-Dominique il pourrait, en effet, rendre