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LE LENDEMAIN D’AGADIR

à se vider dans les concours dominicaux. Je rentrai chez moi assez tard dans la nuit, attristé par la perspective de rompre avec la vie tranquille et agréable du barreau, effrayé des lourdes responsabilités qui allaient m’incomber, mais résolu à m’entourer d’hommes d’expérience et de valeur, capables de m’éclairer et de me soutenir, et assez confiant, après tout, dans la détente et l’apaisement dont le traité du 4 novembre, malgré ses imperfections, semblait devoir être le gage en Europe.

Le samedi 13, à dix heures du matin, je retournai à l’Elysée et, comme je l’avais promis à M. Fallières, j’acceptai la mission officielle de former le cabinet. Je m’excusai, par téléphone, de ne pouvoir assister à la séance de la commission sénatoriale et, sur-le-champ, je commençai mes démarches.

Quels qu’eussent été les encouragements de M. Clemenceau, je ne pouvais lui demander sa collaboration. J’estimais trop sa puissante personnalité pour me faire l’illusion de la pouvoir soumettre à une discipline gouvernementale qui ne dépendît point de sa propre autorité. J’avais été ministre avec lui en 1906, sous la présidence de M. Sarrien. Je me rappelais avec quels piaffements M. Clemenceau s’était tenu au second rang, jusqu’au jour où il avait pu s’élancer au premier. Il m’avait alors proposé de rester comme ministre des Affaires étrangères dans le cabinet qu’il formait. Je n’y avais pas consenti ; et le souvenir de quelques discussions un peu vives qui avaient éclaté, devant moi, entre lui et M. Léon Bourgeois, ministre des Affaires étrangères du cabinet Sarrien, n’avait pas été étranger à ma déter-