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LA COMMISSION DU SÉNAT

feuille de la Marine, que M. Caillaux, devenu à son tour chef du gouvernement, l’avait prié de conserver. Dans la crise des derniers mois, M. Delcassé n’avait cessé de recommander la prudence et la modération. C’est ainsi qu’en juillet, il avait déconseillé au Cabinet d’envoyer un navire à Mogador en riposte à la présence du Panther devant Agadir. Il me semblait plus désigné que moi pour constituer un ministère. Pendant une heure, j’essayai vainement de le convaincre. « Non, non, me répétait-il, je connais mes limites. Je ne suis pas assez bon orateur pour remplir, comme il convient, le rôle de chef du gouvernement devant une Assemblée qui n’est pas de tout repos. Je rendrais, ce me semble, plus de services au quai d’Orsay dans un cabinet qui serait présidé par toi. » — « Alors, lui dis-je, prends la présidence avec les Affaires étrangères. Il est bien difficile, en ce moment, que le président du Conseil ne soit pas au quai d’Orsay ; c’est le seul moyen de mettre fin aux dissentiments qui ont ouvert la crise. » Et comme il refusait obstinément de se charger des deux emplois, je le priai de demeurer, tout au moins, à la tête de la Marine. C’était un parti qui visiblement, ne lui plaisait guère. Il me dit cependant qu’il se résoudrait à le prendre par égard pour moi, si je consentais à maintenir au ministère de l’Agriculture son ami M. Pams. Je connaissais peu M. Pams ; il était resté, au Sénat, volontairement effacé ; il passait pour un collègue aimable et réservé ; on le disait sans ambition et il n’avait pas d’ennemis. Je promis à M. Delcassé de laisser au sénateur des Pyrénées-Orientales son portefeuille champêtre, qui était, je l’appris bientôt gonflé de rubans du Mérite agricole et tout prêt