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LE LENDEMAIN D’AGADIR

nauté de grandes émotions patriotiques. Mais, depuis longtemps, j’avais avec lui d’excellentes relations ; j’admirais autant sa modestie et sa délicatesse de cœur que son intelligence, et dans le ministère de 1906, où nous étions, lui ministre des Affaires étrangères et moi ministre des Finances, nous nous étions toujours trouvés étroitement d’accord sur les questions qui touchaient aux intérêts permanents du pays. C’était lui, en outre, qui avait représenté la France, en 1899 et en 1907, aux conférences de la Haye. Il personnifiait les idées de justice internationale et d’arbitrage, Nul mieux que lui ne pouvait être garant devant le monde de nos intentions pacifiques. J’insistai vivement auprès de lui pour qu’il consentît à former le cabinet. « C’est impossible, me dit-il, mon médecin me prescrit de me ménager en ce moment. Mais je suis à votre disposition pour un ministère quelconque. Si vous me permettez de marquer une préférence, je vous indiquerai celui du Travail. Vous savez combien je m’intéresse à toutes les questions d’ordre social ; j’ai un programme que je vous soumettrai et que je crois possible de mener à bien pendant cette législature. »

Je me rendis ensuite chez M. Delcassé. Après le jour où il avait, sous la pression de l’Allemagne, quitté le quai d’Orsay, M. Delcassé avait dignement gardé un silence prolongé. Il n’avait reparu à la tribune qu’en janvier 1908. Il y avait obtenu un vif succès. Il y était remonté en juillet 1909 et son discours avait entraîné la chute du cabinet Clemenceau. Moins de deux ans plus tard, M. Monis, chargé de la présidence du Conseil, avait fait appela sa collaboration et lui avait confié le porte-