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LE LENDEMAIN D’AGADIR

sans être obligé de faire allusion à des démarches qui défrayaient la chronique, il touchait inopinément à une matière chargée d’électricité et lâchait un démenti qu’il savait pouvoir être relevé ! M. Georges Clemenceau, qui, assis à l’une des extrémités de la salle, avait jusque-là bridé son impatience, bondit. « M. le ministre des Affaires étrangères, s’écrie-t-il, peut-il nous confirmer la déclaration de M. le président du Conseil ? N’existe-t-il pas des pièces établissant que notre ambassadeur à Berlin s’est plaint de l’intrusion de certaines personnes dans les relations diplomatiques de la France et de l’Allemagne ? » Jetées d’une voix tranchante, les deux questions tombent comme deux coups de hache. Un grand silence se fait. Tous les commissaires haletants se tournent vers M. de Selves qui, pris entre deux devoirs opposés, hésite un instant à répondre. M. Caillaux profite de cette minute de répit pour essayer de se substituer à son collègue et de fournir lui-même l’explication demandée. Mais sèchement, M. Clemenceau l’arrête : « Ce n’est pas à M. le président du Conseil que j’ai posé la question, c’est à M. le ministre des Affaires étrangères. » Visiblement embarrassé par cette insistance, M. de Selves se décide à prononcer quelques mots : « Messieurs, j’ai toujours eu un double souci : la vérité, d’une part, et de l’autre, la réserve que m’imposent mes fonctions. Je prie la commission de m’autoriser à ne pas répondre. »

La commission se serait, je crois, rendue à la prière du ministre ; il lui semblait que ce refus de réponse était une réponse transparente et qu’il était superflu d’insister. Mais impitoyable, M. Clemenceau tint à pousser jusqu’au bout ses avan-