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Et cependant, par un revirement immédiat, elle était contente d’être dans ce pays, point de départ de ses transportantes illusions.

À la salle de jeu, elle voyait le virus de cette rage circuler parmi les attablés aux tapis verts. Distraction presque chagrine parfois, pour elle, que cet accrochage des regards de tous à la bille qui ralentit ses tours, ces penchements des rôdeuses cherchant à surprendre les veinards, ces souffles suspendus avant qu’elle se case, ces effarements de ceux qui perdent, ces jubilations délirantes des autres. Et sur ces tables, d’où l’entrain semble exclu, elle sentait peser un silence oppressant : exhalation de l’égoïsme caricatural de ces visages truculents ou vitreux, de ces yeux incendiés. Sur la joue de plus d’une joueuse coule le fard, crevassé en de la moiteur. Et Ludine observait, non sans une certaine et inavouée déférence, la vieille Larive, maintenant « à moitié fausse, » qui, dans sa verte toilette un peu démodée, portait sa mantille avec un air de vraie grande dame. De sa main droite dégantée les doigts crispés ne manquaient de ratisser les pièces d’or. Plutôt cependant que de mettre en gage ses émeraudes, elle se serait fait l’écu par des cinquante centimes d’emprunt. On eut dit une duègne de l’espérance quand même. Et sa rapacité aussi elle la