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rique, l’expérience a démontré qu’il y avait quelque chose à faire dans ce sens, quelque chose d’indispensable. Un historien, par exemple, ayant atteint l’âge de cinq cents ans, écrivait un livre avec le plus grand soin ; puis il se faisait soigneusement embaumer, laissant commission à ses exécuteurs testamentaires pro tempore de le ressusciter après un certain laps de temps — mettons cinq ou six cents ans. Rentrant dans la vie à l’expiration de cette époque, il trouvait invariablement son grand ouvrage converti en une espèce de cahier de notes accumulées au hasard, — c’est-à-dire en une sorte d’arène littéraire ouverte aux conjectures contradictoires, aux énigmes et aux chamailleries personnelles de toutes les bandes de commentateurs exaspérés. Ces conjectures, ces énigmes qui passaient sous le nom d’annotations ou corrections, avaient si complètement enveloppé, torturé, écrasé le texte, que l’auteur était réduit à fureter partout dans ce fouillis avec une lanterne pour découvrir son propre livre. Mais, une fois retrouvé, ce pauvre livre ne valait jamais les peines que l’auteur avait prises pour le ravoir. Après l’avoir récrit d’un bout à l’autre, il restait encore une besogne pour l’historien, un devoir impérieux : c’était de corriger, d’après sa science et son expérience personnelles, les traditions du jour concernant l’époque dans laquelle il avait primitivement vécu. Or, ce procédé de recomposition et de rectification personnelle, poursuivi de temps à autre par différents sages, avait pour résultat d’empêcher notre histoire de dégénérer en une pure fable.

— Je vous demande pardon, dit alors le docteur Ponnonner, posant doucement sa main sur le bras de l’Égyptien, je vous demande pardon, monsieur, mais puis-je me permettre de vous interrompre pour un moment ?

— Parfaitement, monsieur, répliqua le comte en s’écartant un peu.

— Je désirais simplement vous faire une question, dit le