beaucoup le culte de Teutatès à celui de Mammon et le prêtre qui offre au cruel extorqueur d’hosties humaines des victimes qui meurent honorablement, des victimes qui veulent mourir, me paraît un être tout à fait doux et humain, comparé au financier qui n’immole les populations qu’à son intérêt propre. De loin en loin, ces choses sont encore entrevues, et j’ai trouvé une fois dans un article de M. Barbey d’Aurevilly une exclamation de tristesse philosophique qui résume tout ce que je voudrais dire à ce sujet : « Peuples civilisés, qui jetez sans cesse la pierre aux sauvages, bientôt vous ne mériterez même plus d’être idolâtres ! »
Un pareil milieu — je l’ai déjà dit, je ne puis résister au désir de le répéter, — n’est guère fait pour les poètes. Ce qu’un esprit français, supposez le plus démocratique, entend par un État, ne trouverait pas de place dans un esprit américain. Pour toute intelligence du vieux monde, un État politique a un centre de mouvement qui est son cerveau et son soleil, des souvenirs anciens et glorieux, de longues annales poétiques et militaires, une aristocratie, à qui la pauvreté, fille des révolutions, ne peut qu’ajouter un lustre paradoxal ; mais cela ! cette cohue de vendeurs et d’acheteurs, ce sans nom, ce monstre sans tête, ce déporté derrière l’Océan, État ! — je le veux bien, si un vaste cabaret, où le consommateur afflue et traite d’affaires sur des tables souillées, au tintamarre des vilains propos, peut-être assimilé à un salon, à ce que nous appelions jadis un salon, république de l’esprit présidée par la beauté !
Il sera toujours difficile d’exercer, noblement et fructueusement à la fois, l’état d’homme de lettres, sans s’exposer à la diffamation, à la calomnie des impuissants, à l’envie des riches, — cette envie qui est leur châtiment ! — aux vengeances de la médiocrité bourgeoise. Mais ce qui est difficile dans une monarchie tempérée ou dans une république régulière, devient presque impraticable dans une espèce de capharnaüm, où chaque sergent de ville de l’opinion fait la police au profit de ses vices, — ou de ses vertus, c’est tout un ; — où un poète, un romancier d’un pays à esclaves, est un écrivain détestable aux yeux d’un critique abolitionniste ; où l’on ne sait quel est le plus grand scandale, — le débraillé du cynisme ou l’imperturbabilité de l’hypocrisie biblique. Brûler des nègres en-